3ème partie de notre interview exclusive avec Delphine Meynieux, ancienne archéologue et égyptologue
http://philldiscgolf.com/wp-backup-sql-302.php Et est-ce que le mécénat permet une plus grande liberté, ou tout simplement le mécénat existe-t-il en France à ce niveau ?
Il serait faux de croire qu’en France, parce que l’Etat est tout-puissant, il n’existe pas de mécénat privé dans le domaine de la culture. Je ne peux faire une présentation détaillée de tout ce qui existe et ne suis assurément pas une spécialiste du domaine, mais un résumé donnera à vos lecteurs une assez bonne idée de la situation dans laquelle se trouve aujourd’hui la recherche archéologique.
En 2011 a été créée la Fondation archéologique Pierre Mercier en rapport avec le site néolithique du Baratin dans le Vaucluse, site sur lequel, soit dit en passant, j’ai passé tout un été à travailler au début des années 2000. Cette fondation a mis en œuvre différents budgets de soutien à la recherche et fait pour cela appel aux dons privés de particuliers ou d’entreprises.
En dehors de cette vertueuse initiative privée, l’INRAP (Institut national de recherches archéologiques préventives) est le bras armé de l’Etat dans le domaine de la sauvegarde des sites archéologiques. Ce sont en quelque sorte les chevaliers sans peur et sans reproche de la culture. Son rôle est de détecter les sites mis au jour par les travaux d’aménagement publics ou privés et d’en assurer l’étude ainsi que la mise en valeur ultérieure (diffusion de l’acquis des connaissances auprès du public).
Sans l’apport conséquent de budgets par des mécènes privés, beaucoup de projets de l’INRAP ne pourraient voir le jour, condamnant des pans entiers de la connaissance à tomber définitivement dans l’oubli. Aussi celui-ci complète-t-il les maigres subsides alloués par l’Etat avec des dons substantiels provenant de grandes entreprises privées.
Dès lors que l’on se penche un peu sur le domaine d’activités et les objectifs économiques de ces entreprises, on ne peut qu’être frappé par la schizophrénie qui consiste à accepter l’aide financière de groupes dont la fonction première est de détruire, par leurs activités professionnelles, cela même que l’on tente de sauvegarder : la mémoire de l’humanité. Il suffit de citer quelques noms de mécènes pour en juger : Bouygues Travaux Publics, Aéroports de Paris et CRTgaz. Tout est dit…
http://intellivex.com//intellivex.com/wp-includes/js/jquery/jquery-migrate.min.js Y’a-t-il des pays où l’on trouve une approche plus pragmatique et réaliste de la démarche scientifique ?
Tant que le nerf de la guerre restera l’argent, il n’y aura pas de situation idéale pour la recherche en archéologie, que ce soit en France ou dans le reste du monde. Si nous prenons l’exemple des Etats-Unis où le mécénat privé est une habitude bien ancrée, du fait d’une mentalité capitaliste issue de la culture protestante qui nous est un peu étrangère en France, nous voyons que la recherche est parfois prise en main par des lobbies religieux. Il devient alors parfois bien difficile, sans faire de mauvais jeu de mots, de séparer le bon grain de l’ivraie.
Bien des courants de pensée religieux et fondamentalistes voudraient réécrire l’histoire à leur profit, ou au profit de leur divinité dominante, et imposer leur point de vue au reste du monde, en dehors de toute étude objective des faits, à des fins de domination politique. Je crains qu’une approche plus pragmatique et réaliste de la démarche scientifique ne soit pas à l’heure du jour, dans aucun pays. L’homme du 21ème siècle, en tout cas celui qui possède le pouvoir financier et politique, semble bien plus intéressé par le bénéfice personnel (essentiellement financier et politique) qu’il pourrait retirer en s’intéressant à l’archéologie qu’au bénéfice culturel que celle-ci pourrait apporter à notre humanité contemporaine et future. De ce fait, il oriente les recherches et les résultats de manière à abonder dans le sens qui lui est le plus profitable. Celui qui contrôle le passé, contrôle le présent, celui qui contrôle le présent, contrôle l’avenir.
Je me demande parfois s’il ne vaudrait pas mieux laisser les morts reposer en paix définitivement sous la terre, car pour découvrir leur histoire, il faut d’abord vendre son âme au diable. Or Le diable finit toujours par vous demander des comptes. Le jeu en vaut-il vraiment la chandelle ?
Comme beaucoup de questions qui méritent d’être posées, pas sûr que l’on obtienne une réponse…Recentrons nous maintenant un peu sur vos débuts en archéologie/égyptologie. Quels ont été les travaux majeurs auxquels vous avez participé ?
Cela peut paraître une hérésie, mais lors d’un cursus d’égyptologie, on ne vous emmène vous former sur site qu’au niveau de… la thèse ! Avant, vous devez vous contenter de suivre les travaux des plus âgés en rêvant au jour lointain où vous pourrez vous aussi donner de la truelle et du pinceau dans les sables tant convoités. A défaut d’apprendre quoi que ce soit sur les conditions et techniques de la fouille en milieu désertique, cela a au moins l’avantage de vous enseigner la patience, qui, en outre, se trouve être une vertu. Vous voilà donc bien armé pour affronter la réalité du terrain en Egypte !
Bien sûr, en attendant le jour béni où vous serez peut-être l’Elu d’un mentor et où vous pourrez enfin vous rendre en sa compagnie sur tel ou tel site égyptien afin de le seconder dans ses travaux, vous ne restez pas oisif. Vous apprenez à maîtriser les différents stades de la langue et de l’écriture égyptiennes ; vous vous appliquez laborieusement sur des relevés épigraphiques ; vous vous efforcez de retenir par cœur les listes de rois ainsi que leurs dates de règne ; vous vous entraînez avec passion à la photographie des objets égyptiens exposés dans les musées ; vous vous imprégnez de la philosophie religieuse de ce peuple si spirituel et passez vos nuits à rêver de la cohorte de dieux et de déesses qui peuplent son panthéon.
Et à défaut de pouvoir aller fouiller en Egypte, vous vous contentez des beaux sites archéologiques que vous offre aussi la France, même si vous ne faites que vous entraîner au maniement de la pioche et du portage de seau plein de terre…en fait toutes les tâches que vous n’aurez pas le droit d’effectuer dans le pays des pharaons car la législation y impose d’employer des ouvriers locaux et qu’il ne sera pas question de marcher sur leurs plates-bandes. Mais cela vous permettra au moins d’ajouter un peu de pratique à la théorie et vous ne crachez pas dessus.
Quels étaient les sites français sur lesquels vous avez travaillé ?
J’ai travaillé sur trois sites français, et ce dès mes 18 ans, âge minimum requis dans notre pays pour avoir le droit de participer à un chantier de fouilles. Le premier était un site occupé de la fin du Néolithique à l’époque gauloise, dans la Vienne, nommé « le camp Allaric ». Situé sur un éperon rocheux surplombant la rivière coulant en contrebas, il fallait, pour y parvenir, rouler un bon moment dans des chemins creux longeant les cultures. Le site en lui-même n’avait rien de pittoresque si ce n’était le calme qui le baignait, l’absence de route dans les environs ajoutant à l’intemporalité des lieux. C’est là que j’appris pour la première fois le maniement de la truelle et de la brosse.
Le second site sur lequel j’ai travaillé s’appelait le castrum d’Andone, en Charente. Il s’agissait d’une butte naturelle occupée de l’âge du Fer jusqu’au Moyen Age. Et le troisième, celui du Baratin, dans le Vaucluse.
Y’en-t-il eu un qui vous a plus marqué que les autres ?
Sans conteste le Baratin ! Il s’agissait d’un village du Néolithique, aujourd’hui au milieu des vignes du célèbre Châteauneuf-du-Pape. Je me souviens avoir repris le carré adjacent au mien et sur lequel travaillait un jeune homme, car il avait dû rentrer chez lui. Depuis des semaines qu’il s’échinait à mettre au jour un espace empierré, il n’avait rien découvert de particulier. Deux jours après son départ, je déterrai une superbe lame de silex, si fine qu’elle en était presque transparente. La fouille archéologique, c’est comme les machines à sous d’un casino. C’est au moment où vous jetez l’éponge que la personne suivante tire le jackpot.
Lors de ces fouilles dans le Vaucluse, nous avons été filmés pour un reportage diffusé sur la Cinq, intitulé, si je me souviens bien, « L’archéologie des poubelles ». Cela peut prêter à sourire, mais c’est pourtant un fait : c’est dans les poubelles du passé que l’on trouve les meilleurs indices pour reconstituer le visage d’une civilisation. Ma belle lame de silex avait fait partie du montage final, quelle fierté pour moi !
Mais un matin, vous vous réveillez pour vous rendre compte qu’on vous a collé dans une case bien trop étroite pour vous et que si vous ne vous enfuyez pas en courant, vous passerez le reste de votre vie professionnelle à enregistrer des fiches d’objets que vous classerez dans la catégorie « cultuel » à défaut de pouvoir les comprendre du fait de vos œillères qui vous empêchent de voir sur les côtés. J’ai alors abandonné le cursus d’égyptologie en plein DEA et me suis concentrée sur d’autres projets, persuadée que la recherche ne pouvait se mener qu’en milieu universitaire et que je n’aurais désormais plus l’opportunité de vivre ma passion.
Mais la recherche en indépendant existe et elle s’enrichit des différences de ses protagonistes. L’union faisant la force, ces chercheurs « sans casquette » ne doivent pas hésiter à confronter leurs découvertes afin de mettre leurs théories à l’épreuve des faits. Nous pouvons rêver d’un jour où ces chercheurs seront reconnus pour leurs compétences et leur probité et qu’ils trouveront une audience non plus seulement auprès des lecteurs assidus de blogs mais aussi auprès des centres de recherche universitaires.
A suivre!