Nous publions aujourd’hui le première partie d’une interview exclusive avec Delphine Meynieux, ancienne archéologue. Au menu : révélations sur les coulisses de la recherche et de l’égyptologie grâce à la vision terrain pragmatique d’un esprit libre se heurtant sans cesse à une rigidité intellectuelle et une organisation en pleine décrépitude.
savagely Bonjour Delphine, pourriez-vous d’abord vous présenter en quelques lignes ?
J’ai toujours voulu vivre des aventures. Vers l’âge de dix ans, je jouais à l’exploratrice dans la forêt qui jouxtait notre maison. Je rêvais que les restes d’une civilisation disparue étaient enfouis au fond du jardin.
A l’adolescence, ma passion pour l’histoire, l’archéologie et le mystère que représentent les anciennes cultures n’a fait que se renforcer. J’ai eu la chance d’avoir des parents qui ne m’ont jamais empêchée de poursuivre les études que je souhaitais. Ils m’ont même inscrite à un voyage organisé en Egypte alors que je n’avais que 16 ans. Ce fut l’un des plus grands moments de ma vie, car en même temps que je goûtais pour la première fois à la liberté, je réalisais mon rêve de parcourir les temples et de contempler ces vieux tas de pierres qui m’avaient si longtemps fait rêver.
La première sensation que j’eus en atterrissant à Louxor, c’était d’être enfin rentrée chez moi. L’odeur du sable et de la poussière qui vous prend à la gorge, le voile de chaleur qui vous enveloppe, le soleil qui vous brûle la rétine… Je vécus ce voyage comme dans un rêve éveillé. Les pyramides de Gizeh et de Saqqarah, les tombes de la Vallée des Rois, les temples de Karnak et de Louxor, la croisière sur le Nil ; quel bonheur quand on n’a que seize ans et qu’on voyage sans ses parents !
Latuda purchase online uk Et après l’adolescence, que s’est-il passé ?
Après une licence généraliste en archéologie et histoire de l’art, la vie ne suivant pas toujours le cours qu’on voudrait lui voir prendre, je me suis un peu éloignée de mon objectif premier, sans le perdre totalement de vue. Quelques années plus tard, j’eus l’opportunité d’intégrer le cursus d’égyptologie à la Sorbonne. J’étais enfin dans LA place.
Pourtant, je n’y ai pas trouvé l’accomplissement que je souhaitais. J’y croisais plus de carriérisme que de feu sacré, plus de politique que de passion, plus de conservateurs que d’aventuriers. Là n’était pas ma place et je quittai le sérail après quelques années en son sein.
C’est votre approche de l’Egyptologie qui posait problème ?
J’ai sans doute une vision romantique de l’archéologie, mais c’est ainsi que je veux la vivre. Pas de cette manière froide et sèche qu’on a voulu m’imposer, pas avec ce scientisme qui gouverne aujourd’hui tous les domaines de la recherche. Ce qui est passionnant dans l’étude des civilisations disparues, c’est de prendre les chemins de traverse, sortir des sentiers battus, oser s’aventurer là où personne n’est encore allé.
Plonger dans le passé, c’est se projeter en Terra incognita. On ne sait pas ce que l’on y découvrira, mais ce qui est sûr, c’est que l’on se trouvera soi-même.
Pourriez-vous nous donner quelques exemples de cette dichotomie d’approches entre ce que vous vouliez apporter au monde de l’archéologie, et ce que le monde de l’archéologie voulait que vous lui apportiez ?
L’un des travers de notre époque, et plus précisément de notre civilisation occidentale, est de compartimenter la pensée. A chaque chose sa case. La recherche scientifique n’y échappe pas. L’Université prépare ainsi chaque année des personnes hyperspécialisées dans leur domaine, des « experts » que l’on voit fleurir à tout va, mais qui se révèlent incapables d’élargir leur mode de réflexion à d’autres schémas intellectuels. Beaucoup de chercheurs ont du béton dans la tête. Si vous leur demandez de sortir des sentiers battus, ils sont perdus dès lors qu’ils ne possèdent pas la carte du monde qu’ils doivent explorer.
En archéologie comme dans toute discipline scientifique, il faut être tout sauf un chercheur « standard ». Ce sont toujours les personnes qui ont osé s’aventurer là où personne n’était allé avant elles qui ont fait les plus grandes découvertes. Les autres ne sont que des fonctionnaires de la recherche.
Les sentiers battus ne sont-ils pas cependant garants de carrière ? Les gens ont peur des risques…
Exact ! il existe un tel carriérisme en égyptologie qu’il est très mal vu d’aller marcher sur les plates-bandes du voisin, à tel point que les étudiants sont contraints de garder jalousement pour eux les résultats de leurs recherches, ce qui est fortement préjudiciable à l’avancée des connaissances globales. Comme dans l’écologie, il faudrait en archéologie « agir local et penser global ». Mais les dogmes sont tellement bien établis par les technocrates scientifiques à la tête des universités qu’il est impensable pour un égyptologue (face aux curieuses découpes des blocs de pierre par exemple) de se dire : « est-ce que ça existe ailleurs dans le monde ? ». Car il a été décidé une fois pour toutes que cela ne pouvait avoir aucun rapport et qu’il était « totalement exclu » de l’envisager ne serait-ce qu’un millionième de seconde.
Qu’en est-il de la France plus précisément ?
L’un des gros problèmes de l’archéologie en France est qu’elle dépend des maigres budgets que l’Etat veut bien lui allouer. Il n’y a qu’à voir la minuscule bibliothèque d’égyptologie du Collège de France ou l’aspect vétuste du centre de recherches en égyptologie de la Sorbonne pour se convaincre que les priorités de notre gouvernement ne vont pas (hélas) à la recherche scientifique et les découvertes ; mieux connaître notre passé pour appréhender notre futur. Cela implique que la possibilité de financements par mécènes devient alors plus que bienvenue. Mais cela pose des questions éthiques. « Dis-moi qui te finance et je te dirai ce que tu dois trouver ».
Gardez les yeux ouverts pour la prochaine partie de l’interview 🙂